Edito_estival_20140727.mp3 (2.9 Mo)
Vraiment, je m'interroge sur ce mal qui ronge nos sociétés contemporaines, communautés d'hommes et de femmes débordés. Arriver en trombe au bureau au terme de sempiternels transports en commun, faire la recette malheureuse d'une liste d'actions planifiées mais toujours en souffrance, ménager la chèvre et le chou sur ses engagements, tout cela n'est désormais plus que la partie visible de l'iceberg. Car avec les moyens donnés par les technologies, nous sommes désormais au cœur d'un trafic extrêmement dense d'informations à hiérarchiser et de décisions à prendre. Notre expérience du temps qui passe devient alors étouffante, loin d'une communion contemplative, elle est une lutte qui nous force à courir perpétuellement pour ne pas chuter du tapis roulant. Je crois que les technologies, instruments formidables d'exaltation de nos existences, nous ont quelque peu dupé: en donnant les moyens d'aller plus vite, elles n'ont pas pour autant converti le temps gagné en temps libre, elles n'ont fait que le segmenter encore plus et l'optimiser, non à notre service, mais à celui de nos innombrables sollicitations. S'il nous fallait une heure pour écrire une dizaine de lettres manuscrites, il nous en faut trois fois moins pour une dizaines d'e-mails. Du coup on en lit et en écrit davantage. Quant aux réseaux sociaux et aux chaînes d'information en continu, ils nous pressent de l'impérieuse urgence d'être au courant de tout et d'en faire le commentaire en quelques minutes... Je vois mal comment ce mode de vie en accéléré peut s'accorder avec le cheminement d'êtres d'esprit et de chair, adonnés à des activités bien singulières.
Alors, ce serait une question bien trop complexe que d'analyser ce qui nous insuffle un rythme de vie toujours plus dense. Mais on peut déjà ébaucher une piste de nature existentielle. Nous qui sommes bien conscients de la finitude de nos misérables vies, et en même temps dubitatifs sur l'hypothèse d'une vie éternelle, il est un refuge tentant que de multiplier les rencontres, les expériences, les activités, quitte à privilégier la quantité sur la qualité. Ce que je déplore, c'est la primauté du faire et de l'avoir sur l'être: une vie réussie se mesurerait aujourd'hui aux biens accumulés, aux voyages effectués, au réseau social tissé, moins qu'aux valeurs et à son rapport au présent. Un mot d'ailleurs sur le présent, passé et futur: voilà trois concepts qui nous trompent par leur apparente fugacité. Nostalgiques du passé, angoissés par le futur, on cherche vainement à empoigner un présent fuyant et, désappointé, on blâme la course du temps. Mais ne réalise-t-on pas que c'est notre propre matière grise qui se joue de nous? En effet, il est inéluctable que le présent s'imprime en notre mémoire sous forme de souvenirs passés, tandis que notre imagination crée un hypothétique futur. Loin de ces perceptions neuronales, il faudrait donc considérer le temps comme un vecteur d'éternité unique, harmonieux, et non comme un rayon de lumière impossible à saisir... Quant à la rapidité des rythmes de vie, c'est aussi une affaire de culture. Si à Paris on court et on se bouscule pour prendre un métro, à Budapest on prend davantage le temps de se rencontrer et d'échanger dans les cafés. Comment lever le pied? Mes quelques pistes à développer: se laisser guider par des instants de communion avec la Nature, contempler la mer, grimper un chemin escarpé, observer silencieusement et sans jugement un phénomène à l'entour, respirer un bon coup, ne pas toujours s'appesantir de ce qu'il reste à faire. "La vie est longue si on sait en user" dit Sénèque, alors nul besoin de se la raccourcir à force de la fractionner.